Azoulai 8

Publié le par 1A 08/09 notes

Loïc Azoulai                            mercredi 6 mai 2009

Le marché unique européen

 

 

Toutes les séances à partir de maintenant concernent une autre forme de l’intégration européenne : jusque-là les institution, maintenant les régimes d’intégration économique et sociale.

 

On va s’intéresser aux défis et les problèmes que pose la construction d’un marché unique en Europe dans le contexte actuel.

 

Le marché commun est une chose très concrète : la capacité donnée aux opérateurs économiques de jouir d’un espace fonctionnel d’échanges ouvert, sans frontières, sans contrôle apparent aux frontières des Etats membres. La construction du marché intérieur apporte au moins l’apparence de la suppression des frontières, qui sont repoussées aux limites extérieures de l’Union Européenne.

 

Le marché commun est une fiction, c’est l’idéal de créer une unité qui n’est pas donnée en Europe, une unité de production économique, et par là une unité de population, une unité spatiale, territoriale en Europe. C’est un idéal au regard duquel sont évaluées les règles nationales. Article 14 du traité instituant la Communauté Européenne : le marché unique est “un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des productions, des personnes, des capitaux est assurée. C’est d’abord un espace économique qui présage autre chose, l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

 

Techniquement un marché commun est une union douanière complétée par une union économique. Une union douanière est une zone de libre-échange, c’est-à-dire un espace dans lequel les Etats abolissent les obstacles à circulation des productions, où en même temps les Etats se dotent d’un tarif douanier commun pour les marchandises extra communautaires. C’est aussi une union économiques : ce ne sont pas que les marchandises qui circulent librement, mais aussi les facteurs de production, d’où les principes de liberté de circulation consacrés par le traité aux articles 28 à 56.

 

La Communauté va plus loin que toute autre intégration économique dans le monde par deux points. D’abord, la communauté européenne dispose d’un dispositif institutionnel complexe et efficace pour mettre en œuvre la construction du marché commun. La Communauté s’est dotée d’une gouvernance du marché commun (la méthode communautaire). Ensuite, la Communauté s’est dotée de la monnaie unique européenne. C’est une condition essentielle du bon fonctionnement du marché commun.

 

Mise en rapport de cette réalisation avec le contexte actuel, qui est un contexte de crise. Le marché commun, qui faisait l’objet d’un consensus dans l’Union Européenne, a perdu de sa légitimité. C’est un modèle en crise, et ses techniques d’établissement sont en crise.

 

 

I. Le marché commun et la crise

 

Le marché commun a longtemps été loué pour ses réussites, il est aujourd’hui attaqué de toutes parts.

 

A. Les avantages de l’intégration économique

L’établissement du marché commun a permis une meilleure répartition des facteurs de production en Europe, ainsi qu’une plus grande concurrence. Ainsi, il a favorisé l’accroissement de la productivité en Europe. Il a incidemment entraîné une certaine spécialisation des Etats en Europe : Royaume-Uni secteur financier, Allemagne secteur industriel, France secteur agricole. L’un des arguments pour l’élargissement à de nouveaux Etats a été l’ouverture de nouveaux marchés. C’est aussi un gain pour les consommateurs puisque par la voie de la concurrence élargie, les produits doivent être plus compétitifs. Ce sont des facilités pour les travailleurs européens, qui peuvent chercher des emplois dans les pays de l’UE. C’est aussi une opportunité de moderniser les structures de production en Europe et d’assurer la compétitivité d’entreprises sur le plan mondial. Pour cela, il a fallu non seulement l’engagement des Etats par traités, mais aussi la vigilance des institutions de surveillance du marché commun. Il faut intégrer dans les décisions nationales des intérêts européens pour établir le marché commun. Les Etats européens sont en quelque sorte par nature protectionnistes, on voit donc sans cesse resurgir sur le plan européen des entraves à la liberté de circulation (taxes, impôts déguisés, formalités administratives). Tout cela explique aussi la nécessité de relancer sans cesse cette entreprise, dont l’objectif est pourtant lancé dès 1957, avec notamment l’Acte unique européen en 1986. En 2007, la Commission européenne a à nouveau voulu relancer le marché unique. Mais le problème est que le contexte actuel tend à souligner les revers de l’intégration économique.

 

B. Les revers de l’intégration économique

Il existe trois sortes de revers de l’intégration économique : les effets induits, symboliques, de conjoncture. Les effets induits sont la concurrence entre les Etats, entre les systèmes. Ils sont le résultat de l’approfondissement de l’intégration économique avec l’Acte unique Européen de 1986, qui abolit tous les obstacles aux échanges. L’essentiel du commerce est aujourd’hui intra communautaire. L’élargissement de l’UE a entraîné la participation à l’unité économique des sociétés et des Etats de plus en plus hétérogènes sur les plans économique et social. Les Etats membres entrés en 2004 représentent une augmentation de 25 % de la population de l’UE, mais seulement de 5 % du PIB. Cela a accentué la mise en concurrence de systèmes de règles, qui régissent l’activité économique (règles fiscales, sociales, en matière de droit des sociétés). L’effet de ce phénomène est la tentation pour les Etats européens de jouer sur les règles fiscales, de protection sociale, pour attirer sur leur territoire des capitaux, des entreprises. Il y a donc des risques pour les Etats européens les plus protecteurs, redistributeurs : délocalisations, dumping social (remplacer les travailleurs du pays par des travailleurs étrangers moins protégés). Les Etats sont alors incités à déplacer la charge de l’impôt des entreprises (plus mobiles) aux travailleurs (moins mobiles). La seule manière d’abolir ces risques est l’uniformisation des règles européennes. Mais il y a trop d’obstacles pour cela. Il y a des difficultés techniques, mais aussi un manque de volonté, à la fois des Etats les plus protecteurs qui redoutent un nivellement par le bas de la protections sociale, et des nouveaux Etats membres, mais aussi de certains politiques qui voient dans la concurrence la manière de permettre le rattrapage des nouveaux pays. Les arrêts Viking et Laval de décembre 2007 mettent en scène le conflit entre la liberté économique protégée par le droit européen et le droit d’action social réglé par les Etats des travailleurs nationaux. Dans les deux cas, la Cour a estimé qu’elle était compétente et que la liberté économique devait primer sur les droits sociaux. Il y a là la limite de l’intégration économique, la non prise en compte des aspects sociaux. Le revers symbolique est le fait que le marché commun est aujourd’hui associé à des pertes d’emploi, l’augmentation des inégalités, à la mondialisation désocialisante, et cætera. C’est pourquoi la France a demandé que la référence à la concurrence soit supprimée dans le traité de Lisbonne (même si le fait reste). Enfin, dans le contexte actuel, il y a des revers conjoncturels. Dans le contexte de la crise, l’intégration économique est mise en cause, par exemple dans sa réglementation sur les aides d’Etat, les règles sur les déficits publics excessif. Ces règles doivent être adaptées pour tenir compte des plans de relance actuels. Il y a ainsi en ce moment un bouleversement des règles du marché commun. Ces règles doivent-elle connaître des limites.

 

 

II. L’établissement du marché unique : ses limites

 

Il y a deux techniques d’intégration : l’intégration négative par l’élimination des entraves et l’intégration positive (plus efficace mais plus difficile) qui est l’établissement de réglementations communes qui se substituent aux règles nationales. Ces deux techniques sont complémentaires et ont été poussées très loin.

 

A. Eliminer les entraves ou réguler la société et l’économie ?

La Communauté est allée très loin dans la technique de l’harmonisation positive, en adoptant des réglementations très détaillée, mais aussi en étendant les domaines de l’harmonisation (santé, environnement, éventuellement en matière sociale). Aujourd’hui, la Communauté revient sur cette approche, en limitant l’harmonisation aux cas qui le nécessitent (par exemple sur la publicité pour le tabac, la Cour a estimé que cela ne relevait pas du marché commun), et en limitant la portée de l’harmonisation (de plus en plus, les règles communes ont des exigences minimales et ne contiennent que des principes généraux, avec la possibilité pour les Etats d’aller plus loin ou de différencier en fonction des contextes nationaux). Toutefois, la Communauté a toujours veillé à avoir des règles communes minimales en matière de protection sociale, de santé et de protection des travailleurs. Ce qui a choqué dans le projet de directive Bolkenstein (qui disait que dès lors qu’un opérateur est établi dans un Etat de l’UE et qu’il respecte son droit, il peut prester des services dans l’ensemble de la Communauté, sans que l’Etat qui achète ses services ne puisse imposer des règles sociales, sanitaires ou économiques), c’est que la communauté adoptait une approche en termes de compétition entre systèmes, en renonçant à toute harmonisation même minimale. La directive de 2006 en est le prolongement mais beaucoup modifié, et abandonne le principe du pays d’origine.

 

B. Libéraliser les échanges ou libéraliser les économies ?

La Cour de Justice, en interprétant les principes de liberté de circulation a longtemps eu une approche extrêmement extensive, avec le consentement implicite des Etats membres de l’UE, (ils ne sont pas revenu sur le traité). C’est-à-dire qu’aucun domaine de la vie économique ou sociale n’échappe a priori aux règles du marché commun. Toutes les règles sociales, fiscales, sont visées. La Cour de justice a systématiquement étendu les règles du marché commun. Les règles du marché commun, cela signifie combattre les réglementations nationales discriminatoires, mais aussi les réglementations qui ne sont pas discriminatoires entre étrangers et nationaux mais qui freinent l’accès au marché. L’arrêt Tecsa Bank du 5 octobre 2004 : la réglementation française interdisait la rémunération des comptes courants, et la Tecsa Bank espagnole veut entrer sur le marché français en rémunérant les comptes courants ; il n’y a pas là de mesure discriminatoire, mais la Cour répond que cette réglementation favorise les infrastructure bancaires déjà présentes en France, et qu’il faut permettre à la Tecsa Bank d’offrir un nouvel avantage.


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