[D1] Démocratie, démocraties
Olivier Duhamel
Démocratie, démocraties
Séance 1
Il faut adopter une vision et une conception élargie de la démocratie Dans une première approche de la démocratie, on pourrait dire qu'elle implique liberté et égalité. Rien n'est plus fondamentalement égalitaire que la démocratie qui postule qu'un être humain en vaut un autre. Aucun principe ne sert plus la liberté que celui qui veut que l'ensemble des êtres humains d'âge adulte puisse décider comment ils veulent être gouvernés et qui les gouverne.
On pourrait dire que la démocratie c'est le gouvernement par la discussion publique. Car la discussion implique la liberté de participer à la discussion et l'égalité entre ceux qui discutent. John Rwal disait dans Théorie de la justice « en définitive le concept fondamental d'une démocratie (...) est le concept du débat en soi. Lorsque les citoyens débattent ils échangent leurs opinions et discutent de leurs propres idées sur les principales questions d'ordre public et politique », « la démocratie est l'exercice de la raison publique ». Nous sommes loin de règles formelles ou de la stricte générique électorale. Un autre grand penseur, Amartya Sen, indien, dans La démocratie des autres: pourquoi la liberté n'est pas une invention de l'Occident, reprend la définition de la démocratie comme « gouvernement de la discussion ».
On trouve les origines de la démocratie évidemment à Athènes mais aussi sur le continent africain, dans le gouvernement des rois ou des chefs de tribu par consensus. On trouve aussi des origines indiennes de la démocratie. Dès le 3e siècle avant JC, l'empereur Ashoka avait pris conseil avant de promulguer un édit dans lequel il demandait à ses sujets de ne pas encenser sa propre secte ainsi que celle des autres.
Amartya Sen insiste sur la multiplicité des avantages de la démocratie. Le premier est que la démocratie a une valeur intrinsèque. La liberté politique fait partie de la liberté de l'homme en général. Pouvoir exercer ses droits civils et politique est une condition pour mener une bonne vie, une vie satisfaisante pour soi et pour les autres. Ensuite la démocratie a une valeur instrumentale. Elle apporte plus d'avantages que d'inconvénients. Les travaux de Sen comme économiste politique ont prouvé que les famines ont perduré et ont été dramatiques dans les pays de dictatures militaires (Soudan, Somalie) ou dans les pays à parti unique (URSS dans les années 30, Chine de la fin des années 50 avec 30 millions de morts) alors que des pays démocratiques comme l'Inde ont réussi à l'inverse à résorber la famine. Valeur également constructive de la démocratie, qui permet de constituer des citoyens, aide une société à fixer ses valeurs et ses priorités, permet la compréhension collective des besoins.
I-Les conditions de la démocratie
Il peut y avoir trois types de définition. D'abord une définition stricte électorale: définition de la démocratie par la souveraineté du peuple, aujourd'hui le libre choix des gouvernement par les gouvernements; élection libre, concurrencée, ouverte. Dans une conception plus large, on récusera que cela soit une définition suffisante à la démocratie, car la souveraineté du peuple peut conduire à une tyrannie (adhésion du peuple allemand au NSDAP au milieu des années 30, certaines analyses du stalinisme). La démocratie est aussi constitutionnelle: doit s'ajouter à la souveraineté du peuple le respect des droits fondamentaux. Une conception encore plus large est celle de considérer que pour se forme une démocratie, pour qu'elle soit authentique, survive, se perfectionne, il faut des éléments de liberté essentiels dans la société elle-même, un esprit civique sans quoi la démocratie serait superficielle et non substantielle. Ces définitions ne s'excluent en rien les unes des autres, elles montrent la nécessité d'élargir le champ de réflexion.
A)Les exigences relatives aux institutions
Il y en a 3 principales. La première est l'existence d'un système représentatif. Il faut un espace public avec des associations, des clubs de pensées, des partis politiques qui s'organisent et vivent librement, et qui permettent l'élection sincère de représentants. Il faut, c'est la deuxième conditions, que les élections soient libres. C'est-à-dire que différents partis soient représentés et que la force ne soient pas utilisés, mais aussi la question de l'argent. Aux USA, dans la phase préélectorale, nous sommes dans la phase de collecte d'argent, la phase de fonds de campagne. En France, la réglementation ne le permettrait pas et on considère que c'est une condition de la liberté (don d'entreprises interdits, fonds plafonnés). Enfin, la troisième condition relative aux institutions est celle des pouvoirs séparés, l'indépendance des pouvoirs. C'est même une condition fondamentale. Si il n'y a pas un minimum d'indépendance entre les pouvoirs, l'élection ne peut pas être libre (le Mexique à été jusqu'en 2000 une semi démocratie, avec la création d'un institut fédéral électoral indépendant permettant l'éradication de la fraude électorale).
B)Les exigences concernant la société
Tout d'abord la nécessité d'avoir une société civile autonome, indépendante du pouvoir politique. Un bon critère pour évaluer l'autonomie d'une société est celle du nombre d'ONG fonctionnant librement rapporté à la population. Une deuxième condition est celle de l'existence de médias indépendants, à l'égard du pouvoir politique et économique, difficile à trouver (en France il n'existe pratiquement pas de presse indépendante du pouvoir politique et économique). Et enfin, le contrôle civil des forces de sécurité, ce n'est pas le pouvoir militaire ou policier qui contrôle le pouvoir civile mais l'inverse. Cette question est à peu près régler en France depuis pas si longtemps que cela (dernière tentative de coup d'État n'a que 45 années, lors du putsch des généraux en Algérie). Cette question n'est pas régler dans beaucoup de pays à tradition démocratique plus récente.
II-L'évaluation de la démocratie
A)Les indicateurs objectifs
Ou critères quantitatifs. Il en est sur la participation politique (date des élections les plus récentes, niveau de la participation électorale, degré d'enracinement de la démocratie, date d'attribution du droit de vote aux femmes, nombre de femmes ou de minorités sociales au parlement), sur la participation civile (nombre d'adhérents aux partis, d'ONG, de syndiqués), relatifs aux droits fondamentaux (traités sur les droits de l'homme qui ont été ratifiés).
B)Les indicateurs subjectifs
Ou critères qualitatifs. On peut les obtenir par des évaluations faites par des experts indépendants. Si on veut que ces évaluations soient perçues objectives, elles peuvent prendre la forme de notations. Évaluations sur la démocratie : dans l'élection (degré de transparence, de concurrence sur l'élection), sur la liberté (d'expression, d'association), des droits politiques (pluralité des partis, consistance de l'opposition, respect des minorités), de la liberté de la presse (degré de pluralisme interne et externe, objectivité des médias. Mais aussi évaluations sur la gouvernance, la manière de gouverner: degré de stabilité politique, violence exclue de l'exercice du pouvoir, degré d'impartialité du droit et du respect du droit, existence d'un véritable État du droit, degré d'effectivité de cet État du droit. Il ne peut pas y avoir de démocratie si les juges sont corrompus, si les sanctions de violation du droit s'achète, ce qui est un problème dans beaucoup de pays apparemment démocratiques. Évaluation aussi de l'effectivité gouvernementale, de sa stabilité, de la qualité et de l'honnêteté de l'administration, et enfin évaluation de la corruption.
Des ONG sont spécialisées dans ces évaluations (Transparency International).
III-L'état de la démocratie
A)Les progrès de la démocratie
Il y a une prédominance et une extension de la démocratie électorale à travers le monde. Des démocraties restent toutefois limitées, en regardant les autres critères. Il y a 20 ans, il y avait beaucoup plus de pays autoritaires que démocratiques. Aujourd'hui la tendance s'est inversée. Quasiment la moitié de l'humanité vivait sous régime autoritaire. Aujourd'hui 60% de l'humanité vit sous des régimes plutôt démocratique. L'évolution est donc une évolution vers l'extension de la démocratie.
B)La fragilité de la démocratie
Mais en même temps que cette extension il y a aussi une fragilité de la démocratie qui se développe, en raison de conflit internes. Il y a moins de guerres qu'avant mais il y a beaucoup plus de conflits internes, de guerres civiles qu'avant. Les pays ayant un IDH le plus faible, plus des 2/3 ont été ravagés par des guerres internes (le Mozambique a vécu 16 années de guerres civiles qui ont détruit plus de la moitié des écoles et des moyens médicaux).
La démocratisation mal conduite peut être un facteur d'aggravation du conflit(en Côte d'ivoire, la volonté farouche de mener un processus électoral immédiat sans mettre les conditions favorables préalables font que ce pays a connu des épisodes de déchirement et de guerres civiles et a même faillit disparaître; ou en Irak)
La vrai question est celle des processus de la démocratisation. Un des problème du monde aujourd'hui est que la seule puissance capable d'intervenir avec suffisamment de force contre des régimes d'oppression, les USA, n'est pas la mieux douée pour construire ensuite la démocratie. A l'inverse, l'union de communauté politique la mieux douée pour aidée a la construction démocratique, l'Union Européenne, ne dispose pas de la puissance minimale pour agir face à des régimes d'oppression. Un des enjeux des années avenir serait de perfectionner le savoir faire et la mise en œuvre de la construction de la démocratie.
Cela n'est pas en plaquant immédiatement le modèle démocratique réduit à son modèle électorale et imposé brutalement a une société extérieure, on risque au contraire de provoquer la guerre civile, la partition ethnique, mais ce n'est pas non plus à un autre extrême en développant des théories relativistes, en poussant si loin les considérations des spécificités nationales et de l'histoire du pays que l'on rapporterait a des traits culturels spécifiques des pratiques oppressives, et on justifierait par je ne sais quelle tradition chinoise l'absence de démocratie en chine.