[D3] La diversification des régimes
Olivier Duhamel
La diversification des régimes
Séance 3
Nous en étions resté à la séparation des pouvoirs et à ses applications constitutionnelles. A ce stade nous ne parlons pas de régime spécifique, concret, mais du modèle. Dans le régime présidentiel les pouvoirs sont irrévocables. Dans la réalité du régime des USA, il existe une procédure exceptionnelle de révocation, l'impeachment. Dans le mesure ou l'impeachment est demeuré une procédure tout à fait exceptionnelle, de nature quasi pénale, mais n'est pas devenu une procédure courante et de nature politique, les USA sont restés un régime présidentiel.
Quel est la diversité des régimes des 27 pays de l'union européenne? On peut faire tout d'abord la distinction entre monarchies et républiques.
Cette distinction est-elle importante? Non, monarchies ou pas, tous les pays de l'union européenne sont des démocraties.
Les 20 républiques peuvent se classer en deux groupes, les pays dont le président de la république est élu au suffrage universel direct, et ceux où il ne l'est pas. Qu'y a-t-il de commun dans ces 27 pays? Tous sont des régimes parlementaires, en ceci que le gouvernement y est toujours responsable devant l'assemblée. De ce point de vue on peut dire qu'il y a un modèle européen commun. La portée de ceci est assez limitée, pas inexistante, en théorie le parlement peut être renversé, mais cela ne nous dit pas qui exerce le pouvoir.
I-La diversité historique des régimes parlementaires
A)La première distinction: dualisme ou monisme
Cette distinction s'est développé au 19e siècle.
-Le régime parlementaire dualiste. Dualisme signifie au sens stricte l'existence d'une double responsabilité du gouvernement, d'un côté devant le Parlement et de l'autre devant le chef de L'État. C'est la définition au sens stricte, c'est le critère juridique du régime parlementaire dualiste.
Le gouvernement est choisi par le chef de L'État, et peut être renversé par l'assemblée. Au delà de la double responsabilité, c'est assez profondément un régime d'équilibre entre deux pouvoirs au sommet de l'État, le chef de l'État d'un coté et le Parlement de l'autre. Équilibre des légitimité au plus profond de la logique dualiste. C'est dans les monarchies parlementaires du 19e siècle britanniques, orléanistes en France (monarchie de juillet) que s'est développé le régime parlementaire dualiste. C'est un régime de coexistence entre deux principes de légitimation du pouvoir. Entre le principe monarchique et le principe démocratique. C'est un régime d'équilibre des pouvoirs dans leurs armes. Le chef de l'État dispose du droit de dissolution c'est pourquoi l'on parle de dissolution royale, entre les mains du roi, tandis que le parlement ou l'assemblée dispose du droit de censure, de renverser le gouvernement. Ils ne s'attaquent pas directement au chef de l'État mais à son gouvernement. En apportant la dimension historique qui va combiner les points de vue différents, on peut émettre la thèse selon laquelle le régime parlementaire dualiste est typiquement un régime de transition (monarchie française sous Louis Philippe, début de la 3e République). Dans ses débuts la 5e République a été analysée comme un régime parlementaire dualiste. Mais d'autres soutiendront que le régime dualiste n'est pas forcément un régime de transition mais un régime idéal. Dans cette idée de deux pouvoirs équilibrés entre un chef de l'État et un parlement, nous avons quelque chose qui n'est pas si radicalement éloigné de ce qui est le régime présidentiel des USA, par cette idée de deux pouvoirs équilibrés.
-En Europe on tendra plutôt à voir le régime parlementaire dualiste comme un régime de transition auquel succèdent le régime parlementaire moniste, par triomphe du principe démocratique.
Dans le régime parlementaire moniste, la conception n'est plus celle d'un équilibre des pouvoirs mais d'une hiérarchie qui place en souveraineté au sommet du pouvoir le parlement, le couple formé par le parlement et le peuple, le parlement parce que représentant du peuple. Dans ce régime parlementaire moniste le gouvernement n'est que le commis du parlement, ce n'est qu'un pouvoir exécutif. Le chef de l'État soit n'existe plus soit n'exerce qu'une magistrature morale et une incarnation symbolique de l'unité de la nation. La censure existe, qui permet à tout moment de renverser un gouvernement qui s'éloignerait de ses vœux. La censure aisée garanti la subordination légitime du gouvernement au parlement. Le droit de dissolution soit n'existe pas soit appartient au gouvernement, c'est une dissolution gouvernementale, et qui pourrait avoir pour fonction de vérifier que l'unité entre le gouvernement et le peuple existe toujours, que l'assemblée incarne bien toujours la volonté du peuple, où pour rétablir la cohérence qui fonde la suprématie du pouvoir parlementaire. Le régime parlementaire moniste a pu exister dans la 3e république après l'échec présidentiel de la crise de 1877. Mais ce n'est pas une forme qui a de cette manière survécu car elle s'est dégradé et car est apparu qu'il lui a été préféré une forme différente du régime parlementaire. On en vient à la seconde distinction entre régime d'assemblée et régime majoritaire.
B)La deuxième distinction: majoritaire ou non
Cette distinction s'est développé au 20e siècle. Le régime parlementaire moniste peut subir une déformation, une dégénérescence, une déviation vers un régime d'assemblée. L'unité entre le peuple et le parlement disparaît, l'assemblée n'incarne plus la volonté du peuple mais la volonté parlementaire, et impose leur pouvoir à des gouvernement instable. Le régime d'assemblée est un régime de domination absolue d'un parlement dissocié du peuple. Les majorité changent en cours de législature, les gouvernement du coup changent en cours de législature, sans revenir devant le peuple.
Le droit de censure existe mais on ne l'utilise pas. Il n'y a pas de vérification de cohérence entre le parlement et le peuple.
Il existe une autre forme que l'on peut opposer au régime d'assemblée et qui est le régime parlementaire majoritaire. La cohérence est rétablie entre peuple et parlement par une voie non constitutionnelle, par le gouvernement d'un parti majoritaire. Il y a toujours séparation formelle des pouvoirs entre gouvernement et assemblée, mais les élections parlementaire désigne un parti majoritaire dont le chef gouvernera le temps de la législature. C'est un bloc majoritaire qui est au pouvoir.
Une des distinction aujourd'hui les plus pertinentes entre les différents pays européens est celle qui distingue les régime parlementaire majoritaire de régimes qui ne le sont pas. Ce n'est pas le même mode d'attribution et d'exercice du pouvoir à Londres et à Bruxelles. Aujourd'hui au temps jadis ou la distinction entre régimes parlementaires était celle entre régimes parlementaires monistes et dualistes, c'est désormais celle qui oppose régimes parlementaire majoritaires à ceux qui ne le sont pas.
Avec ce petit point on peut avoir deux définitions du régime parlementaire majoritaire.
-Définition large: régime dans lequel un bloc majoritaire exerce le pouvoir avec cohérence pour la durée du mandat entre le chef du gouvernement, le gouvernement, et la majorité de l'assemblée (Espagne, Allemagne, etc),
-Définition étroite: régime dans lequel la cohérence du pouvoir est assurée par le mode de scrutin majoritaire à un tour (Royaume-Uni).
Un modèle qui était au départ unique, celui de régime parlementaire, a connu des formes diverses. Les modes de diversification des régimes ne sont pas les mêmes avant et aujourd'hui.
II-Les déviations du régime présidentiel
A)La véritable déviation: le présidentialisme
Le régime présidentiel est un régime d'équilibre des pouvoirs entre un président élu du peuple, un congrès élu du peuple, et l'un et l'autre qui ne peuvent se renverser mais doivent coexister chacun exerçant ses pouvoirs librement.
Le présidentialisme, c'est tout le contraire, c'est un régime dans lequel un président élu par le peuple domine le gouvernement qui domine le parlement, c'est un régime de hiérarchisation des pouvoirs. Ce présidentialisme s'est développé spécifiquement, c'est là que le terme a été forgé, en Amérique latine, dans des pays semi-démocratiques, victime du caudillisme (caudillo). Il existe une variante plus démocratique du présidentialisme qui est la variante française. Aux Amériques, en Amérique centrale et du Sud, à quelques exceptions près, on est plutôt revenu d'un régime présidentialiste à un régime présidentiel (Chili, Brésil...). Une version autoritaire du présidentialisme aujourd'hui est celle du Vénézuela derrière Chavez ou en Russie derrière Poutine.
B)L'inspiration partielle: le régime semi-présidentiel
Inspiré du régime présidentiel, la notion de régime semi-présidentiel désigne selon Maurice Duverger un régime mixte, qui emprunte au régime présidentiel ou en tout cas à sa logique l'élection populaire du président et qui emprunte au régime parlementaire l'existence d'un premier ministre responsable devant l'assemblée. Cette forme constitutionnelle s'est répandue en Europe, assez étonnement. Elle est apparu pour la première fois en Allemagne avec la république de Weimar, de 1919 au milieu des années 30.
L'intérêt des typologies est tout d'abord la connaissance de l'évolution du droit constitutionnel. C'est aussi l'étude d'un pays précis. Une première approche non exclusivement monographique consiste à voir si c'est un régime parlementaire ou présidentiel, etc. C'est également un des éléments pour élucider les modes d'exercice du pouvoir. Enfin, ces catégories permettent de se construire une doctrine constitutionnelle personnelle.
Ces catégories ont une valeur heuristique (qui aide scientifiquement à la connaissances des faits) limitée. Fondamentalement elles ne nous expliquent pas les modes d'exercice du pouvoir. A preuve, pour le régime parlementaire, les 27 pays de l'union européenne sont des régimes parlementaire, le mode d'exercice du pouvoir entre la Belgique et les Pays Bas d'un coté, la France de l'autre, et le Royaume-Uni d'un troisième encore n'ont pas de rapport. So what? Même chose ensuite pour la catégorie présidentialiste. Il serait abusif de dire que le pouvoir s'exerce de la même façon à Moscou et à Paris. Or pourtant, à s'en tenir à la définition du présidentialisme, Russie et France sont des régimes présidentialisme. Même chose pour les pays semi-présidentiels, et c'est ce qui ruine la catégorie inventé par Duverger. Quel point commun entre la manière dont le pouvoir s'exerce en Islande, Autriche, Portugal, etc. et la France? Dans tous ces pays semi-présidentiel, le pouvoir est dirigé par le premier ministre. C'est une catégorie presque vide de sens, elle identifie deux données institutionnelles apparemment d'importance mais dont la combinaison ne produit pas un mode d'exercice du pouvoir. Il va falloir aller chercher ailleurs, raisonner autrement. Il va falloir chercher quels sont les facteurs institutionnels déterminants pour définir un système politique, pour définir le mode d'exercice du pouvoir.
Cela ne veut pas dire qu'il faille tout abandonner de ces catégories. Pour prendre un exemple et dire un mot du système politique français, les gens qui auraient pousser le raisonnement jusqu'à dire que la 5e république est un régime présidentialiste et non pas parlementaire ce seraient trompés. C'est bien parce que c'est un régime parlementaire que à trois reprises dans la 5e république la majorité en place a perdu les élections législative, en 86-88, 93-95 et 97-02. On peut être l'un et l'autre. Il y a cohérence parfaite de la typologie entre régime parlementaire et présidentiel, obligation de se ranger dans l'une ou l'autre des catégories. Tandis que avec la diversification des régime cela n'est pas exacte. On peut être un régime parlementaire et semi-présidentiel.