[M2] Le libéralisme face à la monarchie anglaise, monarchie française
Françoise Mélonio
Analyse de textes
France et Angleterre au 18e siècle,
Deux monarchies vues par Montesquieu et Tocqueville
Séance 2
A partir de la seconde moitié du siècle émerge la notion d'opinion publique, antérieure aux assemblées représentatives en France. L'espace public, symbolique, n'est pas l'espace commun. Les Lumières c'est ce régime de la publicité au sens noble du terme.
I-Montesquieu (1689-1755) et le modèle anglais
A)Conditions de publication de l'Esprit de lois
Montesquieu est conseiller à l'assemblée de Bordeaux. A la mort de son oncle il hérite d'une grande fortune et du mortier, signe des présidents principaux du Parlement. Il y a vénalité des charges, mais cette notion n'est pas négative. On achète ces charges judiciaires. En 1726, il appartient à la noblesse de robe (au contraire de la noblesse d'épée), ce sont les parlementaires ayant acheté leurs charges. En 1726 il vend sa charge, se consacre à des voyage et au métier d'écrivain.
Il commence sa carrière en 1921 par Les Lettres persanes, une satire féroce de la monarchie française vu des yeux de deux persans. Il va séjourner en Angleterre entre 1729 et 1731, duquel va sortir la réflexion sur l'Angleterre contenu dans l'Esprit des Lois. Il le publie en Suisse car il redoute qu'il soit interdit, de même qu'il avait publié les Lettres persanes à Amsterdam pour échapper à la censure royale. Son ouvrage est mis à l'index (au sens historique, allusion à la censure du Vatican pratiqué par la congrégation de l'index au 16e siècle dans le contexte des guerres de religion, et qui opère jusqu'au 20e siècle en faisant une liste des ouvrages défendus aux catholiques).
B)Objet du Livre
Dans la préface de l'Esprit des Lois, Montesquieu énonce le but théorique de son ouvrage. « J'ai d'abord examiné les hommes, et j'ai cru que, dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n'étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. ». « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Tous les cas particuliers peuvent se ramener à des lois communes. Un but pratique à côté de cela.
C)L'Angleterre: le pouvoir arrête le pouvoir
Livres 11 chapitre 6 est le grand chapitre qui traite à propos de l'Angleterre de la question de la distinction des pouvoirs, de ce qui est la garantie de la liberté. Le problème est d'analyser la spécificité de l'Angleterre et pourquoi elle peut servir les ambitions réformatiques. C'est une monarchie tempérée dans laquelle les citoyens peuvent intervenir. Elle a pour principe essentiel la liberté. L'Angleterre est ce qui permet de juger tous les autres régimes par comparaison. Tout est présenté comme si cela était à distance de l'Angleterre. Ce qui l'intéresse n'est pas de savoir comment fonctionne l'Angleterre. On est dans l'analyse du système anglais tel qu'il se pose dans ses lois, dans le dispositif constitutionnel et non dans la pratique constitutionnel.
Qu'est-ce que la liberté politique? « La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sureté ». Nous avons une définition de la liberté qui ne définit pas les droits de l'individu par l'indépendance. L'indépendance n'est pas la liberté car c'est le droit de faire n'importe quoi. La liberté ne se confond pas avec une forme d'individu déréglé et solitaire. L'anarchie polonaise est un contre-modèle. La liberté est un système dans lequel les individus sont liés par des garantis réciproques. C'est le droit de faire ce que les lois permette, l'indépendance c'est le droit de n'en faire qu'à sa tête. La liberté est liée au gouvernement modéré. Il y a là une forme de pessimisme radical. Comment faire pour éviter d'avoir un roi qui se mêle de tout? C'est la modération politique, qui consiste à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir ». Il n'existe pas de communauté politique qui puisse se passer d'une constitution arrêtant le pouvoir du prince. La modération est liée à l'idée d'une constitution et d'un frein.
Montesquieu énumère les différentes sortes de pouvoirs. Il distingue 3 pouvoirs, la puissance législative, la puissance exécutive des choses qui dépendent du droit des gens (le droit des gens est le droit international, c'est un droit qui règle les relations entre les dynasties, ou les maison de France, d'Autriche etc., c'est donc l'exécutif tel que nous l'appelons aujourd'hui, mais surtout chargé de la politique étrangère) , et la puissance exécutive de celles qui dépendent du droit civil (c'est la puissance de juger, le pouvoir judiciaire).
Le principe de Montesquieu est qu'il faut que les titulaires de chacun de ces pouvoirs ne soient pas les mêmes. Ce qui compte ce n'est pas les titulaires mais que ce ne soit pas les mêmes. Montesquieu commence par les juges qui ne sont pas à proprement parlé un pouvoir. Des trois puissances dont nous avons parler, celle de juger est en quelque façon nulle. Le pouvoir judiciaire n'est pas un pouvoir comme le législatif et l'exécutif, elle sert de barrière mais n'est pas liée à l'exécutif. La pensée de Montesquieu est extrêmement protectrice. Elle fait l'éloge du jury populaire, c'est une garantie contre l'empiétement du pouvoir. Il est toujours présenté comme une garantie de la liberté. Le principe d'habeas corpus, qui est un principe énoncé dans la Magna Carta au 13e siècle, c'est la protection contre l'arbitraire et l'exigence que tout homme libre soit jugé librement. L'expression habeas corpus s'adresse au geôlier, « mets la main sur le corps et amène le devant le tribunal royal ».
Montesquieu défend le principe de la représentation tout en en limitant l'exercice. Pas de démocratie directe tout d'abord, car dans un grand État comme l'Angleterre cela serait une immense pagaille. Il faut des représentants car le peuple n'est pas éclairé. Les représentants sont capables de discuter des affaires. Il faut que tout le monde vote ou presque, sauf ceux qui sont dans un « tel état de bassesse qu'il n'ont point de volonté propre », ce sont les femmes évidemment mais aussi les domestiques, car au 19e siècle en France, le risque est qu'ils votent comme leur maître, mais aussi les militaires qui ont l'habitude d'obéir.
Il faut deux chambres, des lords et de la commune pour garantir la liberté. La chambre haute va protéger les privilèges de la classe la plus élevée, l'idée étant que ces privilèges permettent d'éviter l'oppression. Le système anglais est inégalitaire, agitée, mais libre par la participation de tous.
Pour Montesquieu il faut un pouvoir exécutif car il est nécessaire d'agir vite, une assemblée ne pouvant être efficace dans le moment. Il ne s'agit pas du tout de séparation des pouvoirs. Le Parlement contrôle le gouvernement. Il ne peut juger le roi mais peut exercer la surveillance des ministres pénalement. Le roi a un droit de véto sur les mesures du Parlement. Ce n'est donc pas un système de séparation mais d'arrêt. C'est parce que les puissances peuvent s'empêcher mutuellement que la liberté est garantie. Au cours du 18e siècle le roi va perdre le choix de ses ministres. Montesquieu insiste beaucoup sur cette idée qu'il faut absolument un empêchement mutuel et que les titulaires des pouvoirs soient différents.
D)Moeurs, manières et constitutions
Les mœurs c'est la conduite intérieure des hommes, les manières sont plus extérieures, c'est la façon de se comporter en société. Une constitution ne peut durer que si elle est conforme à l'esprit générale d'un pays. Il faut étudier le caractère, le climat, la géographie de chaque peuple et lui attribuer une constitution qui lui est propre.
E)Conclusion
C'est l'art de la liberté par la distribution des pouvoirs. Il n'est pas étonnant que Montesquieu, grand parlementaire, ait ce soucis des garantis. C'est un libéralisme aristocratique mais dans la tradition française des garanties judiciaires.
II-L'absolutisme français selon Tocqueville
A) « Ancien Régime » et « révolution »: commentaire du titre
Dans l'Ancien régime et la révolution, Tocqueville analyse la société française du 18e siècle. Le terme d'ancien régime n'est valable que depuis la révolution, c'est l'inverse du nouveau régime. Le titre de Tocqueville est déjà une prise de parti. Tocqueville veut montrer que la révolution et ce qui a suivi doit à l'ancien régime sans le savoir et le vouloir, que la tradition absolutiste française qu'ils ont voulu rejeter est 1789 est la matrice inconsciente de la politique française contemporaine. C'est la révolution fille malgré elle de l'ancien régime. Elle hérite de l'adoration du pouvoir, de larévérence pour le souverain, la tendance à s'en remettre au roi ou au président qui vient de l'héritage de la monarchie absolue.
B)La centralisation
Les causes lointaines de la révolution sont la centralisation administrative. Tocqueville commence par regarder la structure de la France dans l'ancien régime.
Elle est divisée entre les pays d'État et les pays d'élection. Les pays d'élection sont les pays où il n'y a pas d'élection et les pays d'États sont les pays où il y a moins d'État qu'ailleurs. Les pays d'États sont les États provinciaux, ce sont les provinces où il y a des assemblées, notamment la Bretagne et les États du Languedoc. Il y a une forme de constitution libre dans certains États provinciaux de France. Les pays d'élection sont les pays où l'intendant réparti l'impôt sans qu'il soit voté, sous la tutelle de l'État.
Dans la France de l'ancien régime, on a l'impression d'une mosaïque. Il y a vénalité des offices qui donne une indépendance à ceux qui ont acheté leurs offices. Ces parlements interviennent dans ce qui ne les regarde pas. De grands aristocrates pourraient passer pour un lieu de résistance au roi. Ce n'est pas la réalité car les grands aristocrates ont perdu l'essentiel de leur pouvoir. Les parlements ne sont que des organes judiciaires sans véritable appui de la population. Derrière l'apparence d'une France aristocratique et parlementaire, il y a en fait un seul pouvoir, le pouvoir royal. Le conseil du roi est une cours de justice qui a le droit de casser tous les arrêts d'une cours ordinaire. Il a le droit aussi de juger lui-même tout ce qui met en cause la puissance public. Autrement dit, ce que Tocqueville repère dans l'ancien régime c'est la matrice du droit administrative, le pouvoir pour l'administration de déclarer qu'elle est seule compétente de tous les conflits. En matière législative, le conseil du roi va exercer ce qui en Angleterre est confié au parlement. Il fixe les impôt, décide combien on va lever de soldats. Ni pour la conscription ni pour les impôt il ni a de véritable puissance législative séparée du pouvoir du roi. En matière d'exécutif, le conseil du roi décide de tout ce qui concerne le royaume même dans le plus petit détail, même en matière d'agriculture et d'industrie. C'est un seul pouvoir qui est le grand entrepreneur, le grand législateur et le grand juge. C'est ce que Tocqueville désigne par le mot de tutelle.
Le français d'autrefois illustre ce que Kant appelait la tutelle. Sous tutelle administrative, le pouvoir central dispose de moyens réglementaires sur les collectivités publiques pour les maintenir dans le respect de la loi et pour faire prévaloir l'intérêt public. Le pouvoir peut faire triompher un intérêt public supérieur. Le mot tutelle a été supprimé lors de la loi de décentralisation de 1982 ce qui est tout un signe, c'est le moment où on renonce à ce mot central dans la tradition française.
Il y a deux traditions dans la culture commune des Lumières. C'est une opposition majeure entre un système anglais et français. C'est un système qui s'enracine dans la très longue durée. Le système anglais s'enracine dans la Magna Carta, 13e siècle, et est fondé sur l'idée de la limitation du pouvoir, de la méfiance pour les abus et du primat de l'individu. Il repose aussi dans la rule of law, et sur une forme d'inégalité, de division des intérêts avec le risque de ne pas arriver à faire triompher ce qui est de l'intérêt de tous. Ce système anglais est passé aux USA. Le système français s'enracine dans l'époque monarchique. Il est fondé sur l'idée de Res publica. Ce système n'était pas si oppressif que le dit Tocqueville. Dans son principe, cette monarchie absolue se fonde sur l'idée d'un intérêt public supérieur énoncé par le roi qui a le pouvoir d'imposé dans l'ordre judiciaire et administratif. On a deux conceptions très différentes. Avec Montesquieu ce qu'on peut appeler le libéralisme, une doctrine fondée sur la liberté, est antérieure à l'idée de démocratie. Il y a dans la tradition européenne un libéralisme aristocratique qui est celui de Montesquieu et dont Tocqueville donnera une version démocratique. Ce libéralisme se défini par la place donné à l'individu et par le soucis donné à la garantie.