[B1] Géopolitique de l'Europe au milieu du XVIIIe siècle
Philippe Boutry
Géopolitique de l'Europe au milieu 18e siècle
Séance 1
I-Les monarchies traditionnelles
L'Europe est au milieu du 18e siècle presque entièrement monarchique, malgré quelques Républiques de type aristocratique. Ce qui domine ce sont des États dynastiques, une dynastie étant une famille à laquelle a été reconnu un pouvoir sur un ensemble de peuples et la présence de cette famille. Ces États dynastiques forment de grands ensembles construits autour de la légitimité d'une famille. On y distingue 4 types d'entités qui varie par la taille et le fonctionnement: des empires, immenses; des royaumes, beaucoup plus unifiés; des États ecclésiastiques; et des Républiques qui n'ont rien à voir avec celles que nous connaissons aujourd'hui.
A)Les empires en 1750
Il y en a 4.
Le plus ancien est le Saint Empire romain germanique. C'est le plus ancien édifice de l'Europe, il tire son origine de Charlemagne. Il recouvre une grande partie de l'Europe germanique. C'est une entité très complexe, plus de 300 États. Certains sont immenses (l'Autriche qui est aussi un empire, et la Prusse qui est un royaume), mais il y a aussi de simples villes ou de micro-États. L'empereur est toujours choisi dans la même famille depuis la fin du Moyen-âge, c'est un Habsbourg. Il est aussi empereur d'Autriche. Il est sacré à Francfort et est assisté d'une diete, qui siège à Ratisbonne. Cette diete est une représentation symbolique des princes, elle se réuni très rarement. Ce Saint Empire romain germanique est une structure ancienne, très inefficace. Elle est surtout menacée par la consolidation d'un nouvel État qui se fortifie, la Prusse autour de Berlin.
L'empire d'Autriche est composé des possessions propres des Habsbourg, cette famille qui cumule le titre de Saint empereur germanique et d'empereur d'Autriche. Ils se sont établis à Vienne, ils sont empereurs d'Autriche, rois de Bohème, et de Hongrie. Ils possèdent encore notre Belgique actuelle, les pays-bas autrichiens. Ils ont établis certains princes de leur famille en Italie. L'impératrice d'Autriche, Marie-Thérèse, est considérée comme la grand mère de l'Europe, elle a donné ses filles à marier un peu partout, la plus célèbre est Marie-Antoinette. Il s'agit d'un État à la fois allemand, qui est la langue officielle, et catholique. L'empereur fait profession de catholicisme même si ses sujets appartiennent à de nombreuses nationalités et à 5 confessions religieuses différentes. Un empire multinational, multiconfessionnel.
L'empire Ottoman, du nom de la dynastie turque des Ottomans. C'est un empire remarquable car il s'étend sur 3 continents. Une partie de l'Europe, les Balkans (la Grèce, La Bulgarie, la Roumanie actuelles), une partie de l'Asie (la Turquie, l'Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine actuelles), et une partie de l'Afrique (de l'Égypte jusqu'à l'Algérie actuelle). Sa capitale est Istanbul, ancienne Byzance ou Constantinople, aux confins de l'Europe et de l'Asie. Le sultan, chef de l'empire, est également un chef religieux. Il est aussi le calife, c'est-à-dire le commandeur des croyants musulmans. L'empereur Ottoman réuni à la fois l'autorité religieuse et l'autorité politique. La religion dominante est l'islam même s'il existe des minorités chrétiennes et juives. Dès le milieu du 18e siècle cet immense empire Ottoman est en déclin militaire, il commence à céder des territoires en Europe, en particulier la Hongrie ou la Crimée (du côté russe).
L'empire russe est la grande puissance montante à l'est. Cet empire s'est construit autour d'une dynastie, les Romanov. Leur capitale était Moscou mais au début de 18e siècle, ils se sont établis à St Petersbourg sur la façade de la mer Baltique. Le chef est le Tsar. Deux grands Tsars se sont succédés au 18e siècle, Pierre le grand, qui s'est établi à St Petersbourg, et Catherine la grande. Ces empereurs ont accrus considérablement la puissance russe. Ils ont accédé aux mers libres (de glace), la mer Baltique et la mer Noire. Ils commencent une formidable expansion vers l'est, qui les conduira en Asie centrale et à occuper toute la Sibérie. Cet empire est fondé sur une religion dominantes, l'orthodoxie, une des trois branches du christianisme. Le Tsar est aussi le véritable chef de l'Église orthodoxe.
B)Les royaumes européens
Il existe aussi de grandes monarchies, qui constituent des ensembles beaucoup plus restreints mais aussi beaucoup plus unifiés et anciens.
La plus grande de ces monarchies c'est la France, qui est en 1750 plus peuplée que la Russie, et qui fait figure de royaume le plus riche d'Europe. La dynastie est celle des Bourbons, et elle a acquis un extraordinaire prestige avec Louis 14. Ces Bourbons sont aussi présents en Espagne et en Italie. Le royaume de France n'a cessé de s'agrandir, il acquiert sous Louis 15 la Lorraine et bientôt la Corse. Ce royaume possède également des « îles à sucre », les Antilles actuelles mais aussi St Domingue (Haïti) ou encore l'île Bourbon (la Réunion), et l'île de France (l'île Maurice). Il y a aussi des comptoirs en Afrique où se déroule un commerce esclavagiste. Ces possessions sont en déclin, la France doit abandonner à l'Angleterre ses comptoirs des Indes et surtout le Québec. La France est une nation catholique.
La monarchie montante est l'Angleterre, ou plus exactement le Royaume-Uni. La dynastie est récente, c'est la dynastie des Hanovre, une dynastie allemande, c'est toujours elle qui gouverne l'Angleterre mais elle a changé de nom, on l'appelle aujourd'hui les Windsor. La Grande-Bretagne constitue déjà la plus grande puissance commerciale et maritime du monde. Ce sont des royaumes unifiés, Angleterre proprement dite, pays de Galle, Écosse, mais aussi Irlande. Ce royaume uni est devenu la plus grande puissance coloniale du monde. Au milieu du 19e siècle, elle possède encore les USA, le Canada, Des îles à sucre (Jamaïque) et commence à s'implanter en Inde. L'Angleterre est une nation protestante.
Le royaume d'Espagne est régit par une nouvelle dynastie au début du 18e siècle, la branche des Bourbons dont descend aujourd'hui encore l'actuel roi Juan Carlos. L'Espagne est à la tête du plus vaste empire colonial ancien du monde, l'Amérique latine sauf le Brésil, mais aussi les Philippines et une île à sucre, Cuba. C'est un royaume en phase de modernisation mais qui a perdu une grande partie de sa puissance militaire aux dépens de la France et du Royaume Uni.
Le Portugal où règne la dynastie des Bragance. Lui aussi possède un très vaste empire colonial, et notamment le Brésil, des parties de l'Afrique (l'Angola et le Mozambique actuels), des comptoirs aux Indes et en Chines (Goa, Macao). Le petit royaume du Portugal est passé au 18e siècle sous la domination économique de l'Angleterre qui fait figure de puissance dominante sur le plan du commerce.
Des royaumes scandinaves sont également forts anciens, le royaume du Danemark, qui possède la Norvège et l'Islande, et le royaume de Suède qui possède l'actuelle Finlande.
Ils existent aussi des États ecclésiastiques catholiques, avec des évêques-princes, et les États du Pape, entre Rome et Bologne.
C)Les autres formes de monarchies: la République
Elles sont nobilières ou aristocratique. La plus immense, en plein déclin, est la République de Pologne. C'est une République de nobles qui élit son roi, mais la Pologne va sombrer et être partagée par ses trois voisins, l'Autriche, la Russie et la Prusse.
En Italie, quelques République aristocratique existent, dont Venise, ancienne puissance marchande, et Gène.
Plus proche du modèle républicain d'aujourd'hui, des Républiques fédérales, comme les Provinces Unies, actuels Pays-Bas.
Les cantons suisses forment eux aussi une confédération.
II-L'Ordre ancien et la Modernité politique
A)L'Ordre ancien
Que dire de ces sociétés. D'un point de vue juridique et politiques, il s'agit essentiellement de sociétés fondées sur le privilège. Ces sociétés sont des sociétés rurales pour l'essentiel, le monde paysan représente 4/5 des population, parfois même beaucoup plus. Ce sont des sociétés profondément inégalitaires. Inégalités entre les hommes et entre les corps, c'est-à-dire les collectivités humaines. Ce mot « privilège » vient du latin « lex privata », la loi privée. Cela veut dire que chaque individu ou groupe d'individu est régit par des lois particulières, privées, qui s'adaptent à son cas et peuvent être différentes des autres lois qui s'appliquent à ses voisins ou aux groupes voisins. Ces privilèges s'appellent aussi « les libertés », les « franchises », ou les « exemptions », ce qui fait que la loi des autres ne s'applique pas à vous. Il y a donc au sein de ces sociétés des corps privilégiés. Le clergé dans les différentes religions obéit donc à des règles particulières. Toutes ces sociétés ont des noblesses, qui peuvent être d'épée, qui a pour origine la guerre, ou de robe (ou de cours ou d'office) car elle a pour origine le service du roi, du prince et de l'État. Ces noblesses dominent la richesse nationale, la société, elles jouissent de nombreux privilèges et ne paient pas ou peu l'impôt. Ce sont elles qui forment pas naissance l'armature de la plupart des États d'Europe. Tout ce qui n'est pas noble est roturier. Parmi eux, on distingue dans l'ouest de l'Europe une bourgeoise qui ne doit pas être confondue avec celle du 19e siècle. Les bourgeois sont les habitants des bourgs. Ces bourgeois des villes ont eux aussi un ensemble de privilèges, de franchises, d'exemption qui font des villes des lieux privilégiés par rapport aux campagnes. Ils vivent pour l'essentiel d'offices, des professions libérales, ils sont au service de l'État. Enfin le petit peuple des villes, artisans, commerçants, et l'immense masse paysanne. Les paysans propriétaires sont peu nombreux. La plupart sont soumis à des droits, les droits féodaux qu'ils doivent à la noblesse, pas seulement économiques mais aussi symboliques, comme le droit de chasse. Dans le cours du 18e siècle le servage, une forme d'esclavage qui attache le paysan à la terre, se développe et se renforce dans toute l'Europe centrale et orientale, notamment en Russie. Aux marges de ces sociétés il y a ceux qu'on appelle les gens « sans aveux », qui ne peuvent pas avouer un domicile. Ces populations sont les mendiants, les vagabonds, en temps de famine ils peuvent monter jusqu'à 10 ou 20% de ces populations. Ils forment une classe mouvante réputée dangereuse. Sur le plan politique, les État dynastiques reposent globalement sur une théologie politique. Une doctrine religieuse qui a des effets politiques. Les monarchies sont toutes sacrées. Elles revendiquent le caractère sacré du pouvoir. Dans chacun des grands États le prince se représente comme l'élu de dieu, celui que dieu a placé à la tête de la nation (calife, tsar, rois...). Cette théologie politique est essentielle pour comprendre le discours politique des anciennes monarchies. Tout sujet est lié au roi par un lien sacré. Selon la formule chrétienne, « toute autorité vient de dieu ». Cette théologie politique entraine que le pouvoir du monarque est dans son essence absolu puisqu'il est le « lieutenant de dieu sur terre ». Cela ne veut pas dire que dans les faits ce pouvoir soit absolu. En effet les privilèges sont là et plus encore les traditions sont là pour le limiter, notamment la noblesse. L'autorité du monarque est néanmoins renforcée, à la fois sur une base religieuse et politique. Elle laisse une très faible place aux minorités religieuses dans chacun de ces États (communautés juives).
B)La modernité politique
Une philosophie politiques, les Lumières, consiste d'abord en une théorie qui va profondément ébranler les théories politique, celle des droits naturels de l'homme. Le droit antique, grec et romain, ignorait l'idée de droit naturel. L'esclave est une chose, res. Pour voir apparaître une première conception des droits naturelles de l'homme, il faut que s'affirme une théorie religieuse de l'homme, qui veut que l'homme soit une créature de dieu, « à l'image et ressemblance de dieu ». L'homme doit donc posséder certains droits, une dignité de créature de dieu. Cette idée s'affirme dans le cours du Moyen-Age dans les trois grandes religions monothéiste, ce qui n'empêche pas une persistance de l'esclavage. Cette conception religieuse des droits de l'homme s'affirme avec beaucoup plus de force au 17e et 18e siècle. Elle va être relayée par une seconde conception laïcisée des droits de l'homme, on la trouve en particulier chez deux grands penseurs, Locke, qui lie fortement droit naturel, liberté et propriété, et chez Rousseau, qui fonde sur les droits naturels de l'homme son idée de contrat social. La théorie des droits naturels de l'homme s'oppose frontalement à l'idée de sujet d'un roi de droit divin. Elle est au cœur du renouvellement de la pensée politique des Lumières.
« La pensée critique des Lumières ». Les Lumières sont d'abord une pensée, une philosophie et non une politique. C'est d'autre part une pensée critique, l'essentiel des Lumières est d'examiner le réel, la tradition à la lumière de la raison.
Kant, dans Qu'est-ce que les Lumières, « c'est une sortie de l'homme de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable », « c'est faire un usage public de la raison ». L'état de tutelle est l'état d'enfance. Les Lumières, c'est donc passer à l'âge adulte. C'est aussi la prise de responsabilité de l'homme par lui-même. Il faut que dans l'Etat politique puisse s'instaurer un usage public de la raison. Utilité, progrès, raison, homme sont les mots clés des Lumières. Il s'agit d'un renversement profonds des conceptions politiques et juridiques anciennes
Va naître de cette philosophie la première philosophie politique moderne. Elle nait difficilement. Ce qu'on appelle la sphère politique n'existe pas encore, il est interdit de critiquer le monarque, il n'y a ni droit de réunion ni d'expression. Néanmoins on voit naitre en Europe occidentale d'abord une « opinion publique », cette usage public de la raison associé à des lieux, ainsi qu'un espace public. C'est l'âge d'or des grands penseurs politiques, Locke en Angleterre, penseur de la liberté et de la propriété, Montesquieu en France qui théorise la séparation des pouvoirs, Voltaire, l'artisan de la tolérance religieuse, Rousseau, le plus radical, qui fonde sur les droits naturels de l'homme ,sur un contrat social , Beccaria en Italie, qui est à l'origine du code pénal, de la codification des lois.