[D1] Démocratie, démocraties

Publié le par 1A 08/09 notes

Mardi 30 septembre 2008

Institutions politiques 
Leçon n°2: Démocraties, démocraties
Olivier Duhamel




Introduction


Une vision élargie de la démocratie

Lorsque nous traitons de la démocratie, il convient d’adopter une vision large de ce terme car trop souvent nous est donnée une vision trop restrictive, notamment en France ou nous sommes très franco-français et donc peu portés à observer ce qui se déroule dans d’autres pays. 
La définition générale de la démocratie se limite souvent à l’élection: un démocratie serait ainsi un pays où des élections auraient lieu. Autre idée préconçue et largement répandue serait que la démocratie serait une invention occidentale voire française. Il n’en est rien. 
Dans une première approximation de la démocratie, la démocratie implique les principes de liberté et d’égalité. « Un être humain en vaut un autre , […] les être humains adultes doivent choisir comment et qui les gouvernent » pouvons nous lire dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Ce sont des principes très révolutionnaires mais qui n’existent, encore aujourd’hui, que dans la sphère politique. Le choix acquiert sa valeur dans la liberté du choix. La démocratie est « le gouvernement par la discussion publique » ce qui implique la liberté, à savoir la liberté de participer à cette discussion et l’égalité entre ceux qui discutent. John Rawls (1921-2002), auteur d’une Théorie de la Justice publiée en 1971, traduit en 1987, déclare: « en définitive, le concept fondamental d’une démocratie est le concept fondamental d’une démocratie est le concept du débat en soi. Lorsque les citoyens débattent, ils échangent leurs opinions et discutent de leurs propres idées sur les principales questions d’ordre public et politique » et conclut par « la démocratie est l’exercice de la raison publique ». La démocratie n’est pas réduite au processus électoral. 


Le gouvernement par la discussion

Le prix Nobel Amartya Sen en 1998, définit la démocratie comme le « gouvernement de la discussion » dans son ouvrage La Démocratie des autres: Pourquoi la Liberté n’est pas une invention de l’Occident (Payot, 2005) et cite divers exemples de démocratie antérieurs à la démocratie athénienne qui lui confère des origines universelles.

1. Origines anciennes et universelles de la démocratie
La démocratie a certes des origines athéniennes mais aussi africaines comme le montre la reprise de récents travaux d’anthropologue. La démocratie trouve aussi ses racines en Inde sous l’empereur Ashoka, troisième empereur Maurya (-273 -232) où le respect de la discussion et du pluralisme sont admis. Cette tradition perdurera dans l’Inde précoloniale. 

2. La multiplicité des valeur de la démocratie: intrinsèque, instrumentale, constructive
La démocratie a une valeur intrinsèque: la liberté politique fait partie de la liberté de l'Homme de manière générale. Pouvoir exercer ses droits civils et politiques est une condition sine qua non pour mener une vie satisfaisante pour soi et autrui.
La démocratie a une valeur instrumentale: elle apporte plus de satisfaction que de désagréments. Les travaux de Sen montrent que les famines ont perdurés dans les pays de dictatures militaires ou à État à parti unique alors que des pays démocratiques comme l'Inde ont réussi à éradiquer les famines. La démocratie aide, permet à constituer des citoyens, à fixer ses valeurs et principes.




I. Les conditions de la démocratie


Trois types de définition

èLa démocratie électorale
La souveraineté du Peuple : libre choix des gouvernants par les gouvernés avec des élections franches, sincères, pluralisme, à échéances régulières. 
L’adhésion du peuple allemand et de la République de Weimar dans les années 30 aux Führerprinzip ou encore l’adhésion du peuple russe au stalinisme démontre l’insuffisance de la souveraineté du peuple et la nécessité d’une définition de la démocratie plus large

è La démocratie constitutionnelle
Respect des droits et libertés fondamentaux. Il assure la consécration et la protection à travers un juge indépendant et constitue un Etat de droit.

è La démocratie substantielle
Elle nécessite des conditions démocratiques effectives dans les institutions et dans la société elle-même alors dominées par un esprit civique de la part de chacun.

Ces trois définitions forment trois cercles concentriques et montrent la nécessité de la multiplicité des critères.


A. Les exigences relatives aux institutions

1. Un système représentatif
Il faut un espace public avec des associations, des partis politiques, des clubs de pensées qui pensent et vivent librement et qui permettent l'élection sincère de représentants.

2. Des élections libres
Il faut des élections libres. Cette exigence est interprétée de diverses manières selon les sociétés.
Ainsi, aux Etats Unis, l’argent est le fer de lance de toute campagne aussi bien présidentielle que municipales. Le montrent les actuelles élections présidentielles ou à titre de comparaison la campagne récente du maire millionnaire de New York Michael Rubens Bloomberg. En France, les dépenses électorales sont légiférées et plafonnées. (confère PDF)

3. Des pouvoirs séparés
La séparation des pouvoirs, l'indépendance des pouvoir sont même des conditions dans la conception restrictive de l'élection démocratique. L'élection démocratique ne peut être libre sans cette séparation. Au Mexique, l'alternance a été rendue possible après 70 ans de victoire du PRI suite à la création d'un institut fédéral indépendant de vote afin de lutter contre la fraude électorale. En France, il ya 30 ans, la fraude électorale était tolérée jusqu'à ce que l'on considère la fraude électorale comme inacceptable. Des mécanismes sont donc nécessaires pour protéger certains principes comme celui du vote. 


B. Les exigences concernant la société

1. La nécessité d'une société civile autonome
Le nombre d’organisation non gouvernementale (ONG), étant indépendante du pouvoir public, rapporté au nombre de la population, est un bon indicateur. Le cigle même d’ONG est curieux car l’ONG intervient dans les domaines des droits et des libertés afin d’exprimer des demandes et/ ou des jugements mais agit de manière indépendante et donc non gouvernementale. Certaines ONG entretiennent des dépendances à l’égard de structures économiques, politiques, etc.… mais non gouvernementales

2. Des médias indépendants
Les médias continuent d’entretenir une dépendance à l’égard des pouvoirs politiques et économiques. Aucune solution n’a encore été trouvée. Il n’existe presque aucun groupe de presse indépendant en France mais il existe tout de même un pluralisme au deux sens du terme: un pluralisme externe, visible dans le pluralisme de la presse nationale quotidienne, hebdomadaire, les radios, les moyens de communications variés ainsi qu’un pluralisme interne établie par divers règles qui protègent les journalistes et la diversité des points de vue.

3. Un contrôle civil des forces de sécurité
Le dernier débordement militaire remonte en France au Putsch des Généraux.



II. L'évaluation de la démocratie


Un classement réalisé, une évaluation est possible. Cette évaluation induit l’adoption de critères qui peuvent être utilisés dans le but de classifier la démocratisation de tel ou tel pays.


A. Les indicateurs objectifs

Le choix d’indicateurs quantitatifs, mesurables confèrent une impression d'objectivité, d'irréfutabilité. 

1. La participation politique
Elle permet une réflexion sur l'enracinement de la démocratie et l‘analyse d‘une population (mixité sociale, sexuelle)

2. La structuration de la société civile
Elle se traduit à travers le nombre de syndiqués, le nombre d'ONG, le nombre de militants des partis politiques

3. La ratification des pactes
La Convention Internationale de 1966 relatifs aux droit civils de l’Organisation des Nations Unis s’impose comme exemple en la matière.


B. Les indicateurs subjectifs/ qualitatifs

Cette évaluation est effectuée par des experts indépendants et sa notation est formelle dans une optique d’objectivité.

1. Sur la démocratie
Doivent exister un degré de transparence, un degré de concurrence, un degré des libertés, des droits politiques et de la pluralité.

2 Sur la gouvernance
Doivent exister l’exclusion de la violence physique, l’impartialité des droit, l’existence d'un Etat de droit, dit « Rule of Law », soit un empire de lois avec une hiérarchie de lois et droit qui permettent son respect. Ce degré de ce respect consiste en une exclusion de la corruption, des réseaux informels. 
Une démocratie authentique ne peut exister si les juges sont corrompus, si les juges s'achètent, si la violation de droit est monnayable. (confère jugement de Socrate et la valeur de la Justice)
L’évaluation de l'effectivité gouvernementale, honnêteté de l'administration et la corruption publique est rendue possible par l’existence d'organisation spécialisés sur la question de la corruption. 

La corruption en Europe (2005) 

Pays propres Intermédiaires Semi-corrompus
Finlande 9,6 France 7,5 Italie 5
Danemark 9,5 Belgique 7,1 Hongrie 5
Suède 9,2 Irlande 7,1 République tchèque 1,3 
Autriche 8,7 Espagne 7 Lituanie 1,8
Luxembourg 8,5 Malte 6,6 Grèce 1,3
Pays-Bas 8,6 Portugal 6,5 Slovaquie 1 3
Royaume-Uni 8,6 Estonie 6,1 Lettonie 1,3
Allemagne 8,2 Slovénie 6,1 Pologne 3,1
Singapour 9,4 Chypre 5,7
Chili 7,3


Source: TRANSPARENCE Internationale seuil de 0 à 10
Ces chiffrent s'expliquent par l’ancienne implantation de la démocratie et la culture protestante ou au contraire par la culture néo-méditerranéenne, où la corruption est admise.



III. L’Etat de la démocratie


A. Les progrès de la démocratie

1. Une majorité de démocraties électorales

La démocratie électorale dans le monde (%population avec élections multipartites)
Europe occidentale avec les élections multipartites
Europe occidentale et Amériques 100% 
Europe de l'Est et ex-Union soviétique 90%
Asie du Sud 80% 
Afrique sub-saharienne 30%
Etats Arabes 50%
Asie de l'est 20%

Il y a une prédominance des démocraties électorales et une extension de cette démocratie sans doute parce que c'est le plus facile et surtout si cette démocratie est artificielle. 

2. Des démocraties limitées
Etude de cas: en 1988, il y eu une répression sauvage en Birmanie causant 3000 victimes, qui aboutirent à un maintien de la dictature après des élections semi libres une année après. Mais ce cas est un extrême.

3 types de situation peuvent être distingués:

régimes démocratiques Intermédiaires Autoritaires
1985 pays/ Population 11 -10% 13-15% 67- 15%
2005 pays/ population 82-60% 39-10% 26- 30%

De ce tableau, il en ressort une idée de l'évolution de l'idée démocratique, progrès de la démocratie


B. La fragilité de la démocratie

1. De la guerre entre Etats à la guerre dans les Etats
Force est d’admettre qu’aujourd’hui, nous constations moins de conflits qu'auparavant avec ONU, fin de la Guerre Froide, mais beaucoup plus de conflits internes, intra étatiques qu'auparavant. 

Indicateur de développement humain
L'Indicateur de Développement Humain, ou I.D.H., a comme objectif d'essayer de mesurer le niveau de développement des pays, sans en rester simplement à leur poids économique mesuré par le P.I.B. ou le P.I.B. par habitant. Il intègre donc des données plus qualitatives. C'est un indicateur qui fait la synthèse (on l'appelle indicateur composite ou synthétique) de trois séries de données : 
l'espérance de vie à la naissance (qui donne une idée de l'état sanitaire de la population du pays) 
le niveau d'instruction mesuré par la durée moyenne de scolarisation et le taux d'alphabétisation 
le P.I.B. réel (c'est-à-dire corrigé de l'inflation) par habitant, calculé en parité de pouvoir d'achat (PPA - c'est-à-dire en montant assurant le même pouvoir d'achat dans tous les pays) 
le P.I.B. par habitant donne une indication sur le niveau de vie moyen du pays. 
L'I.D.H. est calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D.). Il se présente comme un nombre sans unité compris entre 0 et 1. Plus l'I.D.H. se rapproche de 1, plus le niveau de développement du pays est élevé. Le calcul de l'I.D.H. permet l'établissement d'un classement annuel des pays.
L'I.D.H., s'il est sans doute un meilleur indicateur du niveau de développement d'un pays que le P.I.B. par habitant, n'est cependant pas exempt de faiblesses, en particulier parce qu'il inclut celui-ci et on sait que la mesure du P.I.B. pose de nombreux problèmes. D'autre part, il faudrait sans doute prendre en compte davantage de critères qualitatifs, en particulier en ce qui concerne les inégalités. 
Source: population data.net


L’indice de développement le plus faible est au Mozambique et s’explique par 16 années de guerre civile, la moitié des écoles détruites et 40% des dispensaires. 


2. La relation complexe entre démocratie et développement
Etude de cas: la côte d'Ivoire où la fixation sur la question électorale conduit à une mauvaise démocratisation, l’aggravation du conflit et enterre le processus de démocratie qui nécessite des bases au préalable dans des fondements administratifs. Le cas de l’Irak pourrait aussi ici être développé. 

Richesse et Démocratie
« Il n’existe pas de lien de causalité linéaire entre démocratie et croissance » (Daniel Kaufman, directeur du programme à l’Institut de la Banque mondiale, Le Monde 18 Août 2008)

Croissance Croissance forte Croissance faible Croissance faible
forte et démocratie et régime autoritaire et régime autoritaire et démocratie
Botswana Chine Congo Hongrie
Chili Russie Cuba Mali
Inde Vietnam Zimbabwe Sénégal



Conclusion

La vraie question de la démocratisation et de ses processus, un des problèmes du monde contemporain, est que la seule puissance capable d'intervenir contre des régimes d'oppression, les Etats Unis n'est pas la plus douée pour établir une démocratie. A l'inverse, la mieux douée pour aider à la construction démocratique, l'Union Européenne ne possède pas la puissance minimale pour agir face à des régimes d'oppression. En d'autres termes, le hard power sans soft power ou le soft power sans hard power. Pour aboutir au perfectionnement des savoir faire et de la mise en œuvre de la démocratie, ce n'est ni en plaquant le modèle démocratique, le modèle électoral que l'on y arrivera mais ce n'est ni en relativisant avec les spécificités nationales et culturelles que l'on justifierai des oppressions politiques. Les deux écueils sont l'absolu relativisme et un universalisme mal compris conduisant à un électoralisme plaquée sur une société sans les conditions préalables à son application.

Publié dans Semestre 1

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