Melonio 4
Séance 4
17/03/09
La question sociale (2) : le socialisme et les internationales
Deuxième séance sur la question sociale. La dernière fois étude du compagnonnage qui organise régulation des salaires, de l’embauche et la solidarité, et étude du mutuellisme avec Proudhon qui englobe les coopératives et donne lieu à doctrine du fédéralisme.
Etude du progrès du socialisme scientifique, qui a pris le nom de marxisme dans le grand public, au cours du XIXe.
Ecoute de l’Internationale, à chanter debout, bras gauche levé.
I. Chronologie
Afin de montrer comment il y a eu internationalisation des mouvements ouvriers dans toute l’Europe.
1847 : Marx et Engels rédigent le Manifeste (peu influent, notamment en France où le courant proudhonien est plus représenté).
1875 : constitution du parti Sozial demockratische Partei Deutschland (SPD réunit marxistes mais pas seulement, sa doctrine est composite, son premier programme est réformiste et marxiste en 1891)
1905 : en France la SFIO, fédère des doctrines hétérogènes, avec des blanquistes, des réformistes comme Jaurès, …
1906 : Labor party, lié aux syndicats anglais
Ces trois partis ont des liens variables avec le syndicalisme ; la représentation des diverses doctrines diffère d’un pays à l’autre (peu de marxisme en GB, il y en a plus en France bien qu’on ne puisse pas qualifier Jaurès d’uniformément marxiste) : débat intellectuel.
Le problème du pacifisme se pose à l’approche de la guerre de 1914, qui conduit à des tensions entre les différents partis. On a un mouvement européen, mais l’approche de la guerre conduit à des tensions entre ces partis.
1864 : 1ere Internationale : fondée à Londres, ses statuts sont rédigés par Marx. Le manifeste affirme que les travailleurs doivent lutter pour regagner les fruits de leur production (philosophiquement marxiste), mais les courants sont dominés par les proudhoniens, par Tolain qui a rédigé le manifeste des 60 et en sort en 1868, avec aussi quelques anarchistes hostiles à la dictature du prolétariat. Echec de l’internationale en 1872 car trop de dissensions.
1889 : 2e Internationale (internationale ouvrière) fondée à Paris notamment à l’initiative de F.Engels sur le constat de la lutte des classes, à dominante marxiste avec un fort courant réformiste, les anarchistes centrant la réflexion sur l’économie sont exclus. Grande période de production identitaire.
1919 : 3e Internationale suite à la création de l’URSS, elle est fondée par les communistes russes qui ont quitté la 2e Internationale.
1938 : 4e Internationale, trotskiste
Ce qui compte est l’importance donnée au rassemblement européen. Le courant socialiste s’est formé avec une recherche de rites communs et de doctrines communes, avec forte élaboration conceptuelle.
II. Rites ouvriers
On en regarde deux : le premier mai et le chant de l’Internationale.
1. Le premier mai
1886 : manifestation à Chicago, appuyée sur une vieille tradition du mois de mai (lien entre anthropologie et politique) car c’est une fête de printemps avec tradition de renouveau avec les arbres de mai enrubannés. A partir de cet ancrage, se greffe une nouvelle conscience politique qui est d’emblée un mouvement international. Manifestation à l’appel de l’American Federation of Labour tentant d’obtenir une journée de 8h. Voudraient les 3 huit : 8h sommeil, 8h travail, 8h loisir. Une bombe explose le lendemain parmi les policiers, 11 manifestants sont pendus le 11 novembre. Pourquoi le premier mai ? Période où les contrats de travail se terminent (on disait “May day, pay day”), c’est une période sensible socialement, qui permet une plus forte mobilisation. La violence de la manifestation entraine lors du congrès de la 2e internationale en 1889 la décision de faire du premier mai une journée internationale dès 1890.
1891 : manifestation qui fait 10 morts à Fourmies (centre lainier du Nord de la France). Le patronat avait menacé de licence ceux qui voudraient manifester pour le 1er mai. C’est l’infanterie qui est chargée de réprimer la manifestation, ils tirent sur les manifestants. Fourmies devient un lieu de mémoire ouvrière, débat vif à la chambre (on parle du Quatrième Etat, après le Tiers Etat), Jaurès monte à la tribune. Ce rite du premier mai, violent, se complète par des rites plus pacifiques.
1907 : le muguet porté à la boutonnière, les manifestants de Chicago en 1886 arboraient un triangle rouge avec trois côtés pour les trois huit. Puis on avait eu l’églantine, puis le muguet qui a côté plus symbolique du printemps.
1941 : officialisation de la fête du travail par le régime de Vichy pour rallier les ouvriers au régime.
1947 : jour chômé en France et dans différents pays d’Europe, pas aux US.
2. L’internationale
Texte d’Eugène Pottier en 1871. Ce chant n’était pas prédestiné à devenir le chant révolutionnaire le plus connu. Pottier l’écrit à la suite de la Commune, la musique date de 1888. Comment ce chant est-il devenu chant révolutionnaire si connu ?
Dans la tradition française, le premier chant révolutionnaire est la Marseillaise, concurrence entre les deux. La Marseillaise est interdite sous la restauration, elle reste très révolutionnaire jusqu’en 1830. Après cette date, elle est conçue comme un chant patriotique guerrier.
Pottier est un admirateur des chansonniers de la restauration et de la révolution de Juillet (notamment Béranger). Il est artisan comme le sont les proudhoniens et franc maçon, participe aux journées de juin 1848, s’exile pour la Commune et écrit l’Internationale en exil. Il rentre au moment de l’amnistie des communards, et gagne le concours de la Lice Chansonnière. Jules Vallès est enthousiasmé par cet Hugo du peuple qui préfère qu’on publie ses œuvre et qu’il meure de faim à l’obtention d’un prix. Il est donc devenu connu par la publication de sers œuvres, c’est un ouvrier qui met son texte en musique.
Le chant devient l’hymne des travailleurs dès 1904, il est traduit dans de nombreuses langues et devient l’hymne de l’URSS.
Le texte est pacifiste, va jusqu’à la désertion « nos balles sont pour nos propres généraux ». Vision antimilitaire, le chant particulièrement revendiqué dans les différents courants pacifiques, notamment dans l’entre deux guerres quand le communisme plaide pour le pacifisme.
Le chant s’est tout de suite pensé international, a pensé l’unité des mouvements d’ouvriers.
Dimension prophétique proche du romantisme dans le dernier couplet : image des riches se nourrissant des classes laborieuses, avec imaginaire du cannibalisme sur les pauvres. De même “le soleil brillera toujours” : fin avec futur utopique, avec une possibilité de sortie définitive dans la liberté.
Montre l’importance des rites et des symboles dans la politique, les mouvements ouvriers ont besoin d’images fortes et de chansons, toute communauté a besoin de rituels.
Mais difficulté en France à combiner la Marseillaise et l’Internationale. Même dans 2nde GM, Thorez doit réfléchir à combiner les deux. Même en 2007, S.Royal fait éloge de la Marseillaise. Les chants restent des marqueurs identitaires, difficulté de concilier identité sociale et identité nationale.
III. Le socialisme scientifique
Donne « un résumé intelligent de la doctrine de Marx », écrit par Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880.
La pensée de Marx est diverse et difficile à cerner, le texte d’Engels donne un panorama global de cette pensée.
L’origine de ce texte est une controverse universitaire : en 1878, Engels écrit une réponse à un universitaire allemand. Nous sommes dans l’univers académique allemand, avec des auteurs qui ont culture littéraire très vaste, des intellectuels. Cette brochure de controverse est traduite et publiée dans la revue socialiste, puis séparément en 1880. Elle se transforme en brochure de propagande, le succès de la traduction en français précise que ce texte sera facile à lire pour les ouvriers car il parle de leur condition. La culture mise à la disposition des ouvriers prend références dans des auteurs compliqués : Kant, Fichte, Hegel.
(C’est Engels qui a terminé les manuscrits inachevés du Capital)
A. La conception matérialiste de l’histoire
En quoi peut-on la qualifier de matérialiste ?
A deux racines : la philosophie des Lumières, forme théorique, et son renversement avec la lutte des classes, forme matérialiste.
p. 72, philosophie des Lumières, cette philosophie en est la forme théorique. La part des Lumières est essentielle, car elle pose la critique la plus dure de l’ancien ordre des choses, c’est une doctrine de l’émancipation possible vers laquelle s’acheminerait l’histoire. Le règne de la raison implique un questionnement sur la possibilité de se libérer.
Cette philosophie est cependant insuffisante, car c’est le rêve du « règne idéalisé de la bourgeoisie », les philosophes ne pouvaient penser autre chose que ce que leur permettait la réalité historique de leur époque. Idée que l’infrastructure détermine le type de pensée possible. La philosophie des lumières ne donne naissance qu’à des “regrattiers livresques” (c’est-à-dire des copistes pris dans le recommencement de la pensée bourgeoise).
Mais il faut un dépassement, il faut donc passer du spéculatif au matérialiste, soit à la lutte des classes. En effet on ne veut pas d’une phénomènologie de l’esprit mais une histoire des hommes, pense Marx. L’homme est d’abord un être de besoin, ce sont les conditions de son existence qui sont essentielles. Il faut donc prendre en compte le paupérisme (pauvreté comme destin de classe), Engels analyse la misère telle qu’elle résulte des changements institutionnels qui livrent les travailleurs au capitalisme.
p. 74, conception de l’histoire différente des historiens bourgeois comme Guizot. Marx venant à Paris lit ces historiens, trouve l’histoire de la lutte des classes chez ces historiens mais en fait un usage différent, non comme marche de la révolution française et de l’extension de la classe moyenne mais comme moteur de l’histoire. Valorisation de l’économie comme facteur fondamental avec occultation du politique (instrument à l’intérieur de la structure sociale) et du religieux.
B. La théorie économique
Repose sur la théorie de la plus value. Le salarié vend comme marchandise sa force de travail (rupture avec les corporations), au prix nécessaire pour assurer sa reproduction. Il est exploité car travaille trop pour vivre lui-même et faire vivre ses enfants. Naît donc le profit, richesse abstraite accumulable à l’infini, gagnée par l’exploitant sur cette force de travail.
Ce système est aggravé par l’exacerbation de la concurrence (p. 79), il y a « lutte darwinienne » pour l’existence de l’individu : le capitalisme est une exacerbation du désir de profit qui crée cette lutte pour la vie.
Positionne le capitalisme dans l’histoire des régimes économiques comme le système qui repose sur le salariat, la plus value est ce qui est prélevé sur les salaires, capital vivant. La conséquence est la création d’une armée de réserve et la misère par accroissement de la place des machines. L’augmentation de la production s’accompagne d’une augmentation de la réserve ; donne à penser le capitalisme comme à la fois création de profit et destruction d’emplois.
Celle pensée est économique, avec l’analyse de la concurrence et de la mondialisation, et sociale, avec l’étude de la paupérisation et de la condition d’exploitation.
C. Une utopie
Marx pense que le capitalisme prépare sa propre chute.
D’abord il y a tendance à la concentration du capital, la classe ouvrière devient la classe universelle.
Puis deuxième phase (p. 83) l’émancipation par l’extinction de l’Etat, avec l’administration des choses plutôt que le gouvernement des personnes. Le processus de concentration aboutit à la dictature du prolétariat, qui est une phase transitoire rendant inutile la pression de l’Etat. La cuisinière doit pouvoir gouverner : abolition des frontières entre travaux manuels et intellectuels. Il y a « bond de l’humanité du règne de la nécessité dans le règne de la liberté » p. 85, pensée de fin de l’histoire avec l’émancipation au bout. C’est un messianisme arrivant à une utopie d’émancipation qui est défini.
Double difficulté : se fracasse sur l’expérience de l’URSS, débat pour savoir s’il y a continuité entre la pensée de Marx et l’application communiste ; doctrine fondée sur la lutte des classes, pose la question de la pertinence de la notion de classe dans notre réalité contemporaine, l’idée de classe universelle du prolétariat semble difficile à envisager dans un monde aux productions si diversifiées.
Grandeur de ces pensées réside dans l’obsession du choix à faire entre la lumière et la barbarie, ces grands récits d’émancipation sont travaillés par la hantise d’une chute de l’humanité.